Kremlin échappera-t-il à la CPI?

Le 16 novembre la Russie a annoncé le retrait de sa signature du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) par le décret № 361-rp « Sur l’intention de la Fédération de Russie de ne pas devenir partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale ».  La CPI est une juridiction pénale internationale créée par le Statut de Rome en 2002 et chargée de juger les personnes accusées de crime contre l’humanité, de génocide et de crime de guerre. Ci-dessous l’analyse des conséquences réelles et prétendues de cette décision.

La porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères (MAE) a expliqué dans un communiqué que ce décret est le refus officiel de procéder à la ratification du Statut de Rome, conformément à son article 126. Le MAE russe a critiqué la CPI pour son manque d’efficacité, une prétendue partialité et inefficacité.

Loin d’être un fruit du hasard, cette « nouveauté législative » apparaît le lendemain de la publication du rapport annuel du procureur de la CPI sur les activités menées en 2016 en matière d’examen préliminaire. Une partie du rapport porte sur les hostilités à l’est de l’Ukraine, l’occupation de la Crimée et constitue une base juridique pour reconnaître l’existence du conflit armé international en Crimée et dans l’est de l’Ukraine.

Rapport gênant

Le Procureur a suggéré, en particulier, dans le paragraphe 158 du rapport :« Les informations disponibles donnent à penser que la situation au sein du territoire de la Crimée et de Sébastopol constitue un conflit armé international entre l’Ukraine et la Fédération de Russie qui débute le 26 février au plus tard, lorsque la Fédération de Russie déploie ses forces armées … sans le consentement du Gouvernement de [l’Ukraine ndlr]. Le droit des conflits armés internationaux continuerait à s’appliquer après le 18 mars 2014 dans la mesure où la situation sur le territoire de la Crimée et de Sébastopol se rapporte… à un état d’occupation en cours.»

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En ce qui concerne la situation dans l’est de l’Ukraine et le rôle de la Fédération de Russie dans cette crise, le Procureur a supposé (cf paragraphes 168-170) l’existence de deux conflits en parallèle y compris un conflit armé international avec une implication considérable de la Russie :

« … il semble que le 30 avril 2014, les hostilités engagées dans l’est de l’Ukraine entre les forces gouvernementales ukrainiennes et les éléments armés hostiles au Gouvernement [ukrainien ndlr] atteignent un niveau critique, ce qui entraîne l’application du droit des conflits armés.

D’autres renseignements, comme le pilonnage présumé à l’artillerie des positions militaires du camp adverse par les deux États en cause et la détention de soldats russes par l’Ukraine, et inversement, attestent de l’affrontement militaire dans lequel les forces armées russes et les forces gouvernementales ukrainiennes se sont directement engagées, ce qui laisse entendre l’existence d’un conflit armé international … dans l’est de l’Ukraine depuis le 14 juillet 2014 au plus tard, parallèlement au conflit armé non international. »

Pour mettre les choses au clair et dévoiler la motivation des actions législatives de la Russie il est à rappeler les dernières lignes du paragraphe 170 du rapport du Procureur : « En vue de déterminer si le conflit armé non international en cause pourrait par ailleurs revêtir un caractère international, le Bureau examine les allégations selon lesquelles la Fédération de Russie aurait exercé un contrôle global sur les groupes armés dans l’est de l’Ukraine. L’existence d’un conflit armé international déclencherait l’application des dispositions du Statut de Rome relatives à un conflit de cette nature pour la période considérée »

Les conclusions préliminaires du Procureur offrent un espoir aux Ukrainiens que la CPI se chargera de poursuivre les responsables des crimes commis en Ukraine suite à l’intervention russe. C’est justement pour cette raison que la Fédération de Russie s’est précipitée à échafauder un “canot de sauvetage”, devenu le décret № 361-rp. Ce décret a pour but de justifier la non reconnaissance de la juridiction de la CPI si celle-ci décide plus tard de trancher l’affaire ukrainienne.

Analyse juridique

Malgré la volonté du Kremlin, la juridiction de la CPI peut être exercée dès lors qu’une seule partie impliquée dans le litige la reconnaisse. Donc même si l’Ukraine n’est pas un État partie au Statut de Rome, conformément aux deux déclarations déposées le 17 avril 2014 et le 8 septembre 2015 par le gouvernement ukrainien au titre de l’article 12-3 du Statut, la Cour peut exercer sa compétence à l’égard des crimes relevant du Statut de Rome, commis sur le territoire ukrainien à partir du 21 novembre 2013. On peut en déduire que la Cour est compétente de trancher cette affaire indépendamment du décret russe № 361-rp.

En plus, la Russie étant partie à la Convention de Vienne sur le droit des traités est tenue de ne pas priver un traité de son objet et de son but avant son entrée en vigueur conformément à l’article 18 de la Convention de Vienne. Bien que la Fédération de Russie n’ait jamais ratifié le Statut de Rome elle l’a signé en 2000, et par conséquent doit s’abstenir d’actes qui peuvent constituer des crimes contre l’humanité, de génocide et crimes de guerre. Cette obligation provisoire énoncée à l’article 18 est une obligation autonome du droit international général et donc, il ne s’agit pas d’une obligation morale ou politique mais juridique.

Un Etat devient lié par cette obligation provisoire, au sens de l’article 13 du Projet d’articles sur la responsabilité des Etats, au moment où il signe le traité, et l’obligation cesse seulement – avec un effet prospectif et non rétrospectif – quand l’État retire sa signature conformément à l’article 18a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Le décret du 16 novembre 2016 s’inscrit parfaitement dans une nouvelle politique de Vladimir Poutine de négligence du droit international. Rappelons que le 15 décembre 2015 il a signé une loi permettant à la Cour constitutionnelle de Fédération de Russie de décider si les jugements rendus par les juridictions internationales des droits de l’Homme sont conformes à la Constitution russe. Cette loi a été officiellement adoptée par le parlement russe suite à la décision de la Cour constitutionnelle de ne pas exécuter en Russie les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme qui contredisent la Constitution nationale.

Pourtant, la participation de la Russie à la Convention de Vienne sur le droit des traités signifie que le gouvernement russe ne pourra pas se soustraire de ses obligations juridiques y compris d’exécution des décisions des juridictions internationales établies par les traités internationaux.

par Kateryna Romanenko

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