Rapport Nemtsov: présentation à l’Assemblée Nationale

Le 23 juin 2015 la présentation de la traduction en français du rapport de Boris Nemtsov “Poutine et la guerre” eut lieu à l’Assemblée Nationales en présence d’Ilya Yashin, Danielle Auroi, Krystina Biletska et Alexis Prokopiev.

Voici le discours de Krystyna Biletska, militante de l’association « Ukraine Action », coordinatrice de la traduction du rapport « Poutine et la guerre »:

Ce 23 Juin 2015, nous sommes réunis ici à Paris en ce lieu éminemment démocratique et républicain, dans la capitale d’un pays en paix. A trois heures d’avion de nous, des obus éclatent chaque jour dans des zones habitées et une importante part du peuple ukrainien souffre depuis près de 18 mois, sans discontinuer.

Quelle est la raison à cela ?

L’impudente volonté que ce peuple a affirmée de s’intégrer au côté des nations libres, démocratiques et ouvertes. Volonté de ce peuple ukrainien qui combat pour des concepts aussi fondamentaux que les droits civils et la dignité humaine. Qui combat pour des valeurs qui nous permettent de nous exprimer ici, et qui sont celles pour lesquelles des individus courageux comme Boris Nemtsov sont prêts à perdre la vie. Celui-ci poussé par sa quête de vérité et de transparence avait initié la rédaction d’un rapport sur la réalité et l’étendue de l’implication du Kremlin dans la guerre en Ukraine. Mais on ne lui a pas laissé le temps de réunir les éléments collectés dans le texte qui porte aujourd’hui son nom. La rédaction fut entreprise après la mort de Nemtsov par une poignée de collègues, d’amis et d’autres personnes qui considéraient cette initiative importante. Le document présenté le 12 mai dernier à Moscou, a été traduit depuis en plusieurs langues. Je salue le dévouement de l’équipe ici présente qui a réalisé la traduction française, équipe composée de 17 volontaires, ukrainiens, français et russes.

Mon propos solennel de ce jour vise à éclairer les raisons et les conséquences de cette guerre en s’appuyant sur les principales thèses établies par le rapport de Boris Nemtsov. Cette guerre doit cesser et notre action vise à mobiliser l’opinion publique française pour tenter de parvenir à cet objectif au plus vite.

A travers ses 11 chapitres, ce rapport donne des éléments essentiels pour comprendre comment et en partie pourquoi le Kremlin a allumé et alimenté le feu des mouvements séparatistes sur le sol ukrainien.

D’abord, ce fut l’annexion de la Crimée, planifiée et préparée en avance par le Kremlin, puis réalisée profitant de la situation politique instable en Ukraine. La parodie du referendum du 16 mars 2014, qui a servi à légitimer cette annexion, s’est déroulée sous le contrôle des services secrets et des forces armées russes. Ce fut également la première intervention militaire russe sur le sol ukrainien. Vladimir Poutine a en effet confessé dans un documentaire diffusé par la chaîne publique Rossia 1, d’avoir dirigé cette intervention en personne. L’objectif de l’annexion était de renforcer son assise électorale qui plafonnait à 40% lors de l’été 2013 puis a vertigineusement grimpé jusqu’au 74% en mars 2015, selon les données du rapport.

Après la Crimée, le mouvement séparatiste s’est déplacé dans le Donbass. Dès avril 2014, des parfaits inconnus, des citoyens de la Fédération de Russie, arrivent dans le Donbass pour y organiser et diriger un soulèvement séparatiste. Avec le soutien politique, économique et militaire du Kremlin, avec le soutien de la propagande mise en place par les chaines d’états russes, ces hommes créent les forces armées séparatistes sous les drapeaux des républiques autoproclamés de Donetsk et de Louhansk. D’après le rapport, ces forces sont composées à 70% de citoyens de la Fédération de Russie. Des soldats de l’armée régulière, des militaires sous contrats, des mercenaires recrutés dans des centres spéciaux, tous se faisaient passer pour des volontaires ou des séparatistes.

Le rapport Nemtsov livre des preuves tangibles de la présence de soldats et de matériels militaires russes dans le Donbass. Il établit la mort d’au moins 220 soldats russes dans les combats qui se sont déroulés en août 2014 et février 2015 en Ukraine de l’est. Rappelons qu’aujourd’hui, une telle information concernant les circonstances de la mort de ces soldats relève du secret d’État et sa révélation est passible de poursuites. Le rapport établit également des preuves de la livraison des armes légères, de l’artillerie lourde et des munitions aux séparatistes par la Fédération de Russie.

En 2014, si les chefs séparatistes arrivaient à faire participer des habitants locaux dans des combats, après un an d’affrontements ces mêmes chefs se plaignent publiquement d’avoir du mal à mobiliser la population locale. Quelle est la raison de cette faible implication de la population locale ? Souhaite-t-elle réellement la protection du Kremlin ?

Pour le clarifier, il faut rappeler comment s’est formée la population du Donbass. Dans la période d’entre-deux guerres et aussi après 1945, des milliers d’immigrés sont venus travailler dans le Donbass attirés par son essor industriel. Ils venaient de toutes les républiques de l’URSS, y compris de toute l’Ukraine et même de l’Europe avant l’instauration du “rideau de fer”. Le Donbass est par définition une terre de cohabitation de plusieurs cultures et de plusieurs langues. Cette terre ne peut être en aucun cas hostile à une langue en particulier, surtout à celle qui les a accueillis. C’est probablement pour ça que l’ukrainisation progressive de tous les domaines de la vie en Ukraine depuis 1991 n’a pas rencontré un quelconque mouvement protestataire dans cette région. Lorsque les statistiques désignent le Donbass comme une région russophone, elles omettent de dire que la majorité de ses habitants comprend l’ukrainien et sait le parler. Que le choix de l’usage du russe relève d’une préférence et ne reflète pas une appartenance ethnique. Cela explique aussi pourquoi plus d’un million 300 mille habitants du Donbass se sont réfugiés en Ukraine fuyant la guerre.[i]

Ainsi la protection de la population russophone n’est qu’une fable inventée par la propagande du Kremlin pour justifier la déstabilisation de l’État ukrainien.

Selon des experts militaires ukrainiens, si le mouvement séparatiste avait été exclusivement ukrainien, il se serait éteint de lui-même car celui-ci ne représentait pas même 5% de la population avant la guerre, en outre, l’absence de financement et d’approvisionnement de ses armes aurait déjà ramené la paix.

Cette guerre a un prix. Vous trouverez dans le rapport le détail de ce que coûte à la Russie l’envoi et l’entretien des soldats et du matériel militaire, ainsi qu’une estimation des pertes que la Russie subit suite aux sanctions de l’Occident et à l’embargo visant les produits d’alimentation. Retenons simplement qu’il s’agit de plusieurs milliards d’euros qui représentent une part non négligeable du budget de la Fédération de Russie.

Mais le vrai prix de cette guerre est tout autre. Le plus lourd tribut est payé par le peuple ukrainien et toutes les victimes collatérales de ce conflit. Au moins 6417 civils sont morts et près de 16 mille civils ont été blessés entre avril 2014 et mai 2015 selon le recensement de l’ONU. 298 personnes se trouvant le 17 juillet 2014 à bord du vol MH17, ont perdu la vie dans un Boeing abattu par un missile sol-air lancé depuis le territoire contrôlé par des séparatistes.

Le bilan s’alourdit tous les jours. Les morts des civils sont dues non seulement aux combats, mais aussi au manque des vivres et de médicaments, au pillage de l’aide humanitaire, à l’absence de couloir humanitaire et aux tortures pratiquées pas des séparatistes pro-russes pour punir ceux qui ne partagent pas leurs opinions politiques. L’urgence humanitaire concerne des millions de familles ukrainiennes. Le nombre de déplacés internes en Ukraine atteint plus d’un million 300 mille personnes, le nombre d’ukrainiens réfugiés à l’étranger proche s’élève à 1 million de personnes, d’après l’ONU.

En conclusion, ce rapport démontre que la guerre en Ukraine est orchestrée de bout en bout par le Kremlin. Cette ingérence a sans doute pour objectif de déstabiliser l’État ukrainien, d’empêcher sa nécessaire réforme démocratique et d’enliser tout rapprochement avec l’Occident. Cette guerre est un coup porté à l’aspiration de l’Ukraine à épouser le concept occidental d’État souverain. Pourtant elle n’a fait que renforcer la nation ukrainienne et mobiliser sa société civile.

Mais cette guerre n’est pas seulement un coup porté à l’idée de souveraineté ukrainienne et au concept occidental d’États souverains. C’est malheureusement aussi un pas de plus vers l’isolement de la Russie. Le danger que cette guerre représente pour le peuple russe avait été compris par Boris Nemtsov comme par ceux qui ont rédigé ce rapport et par une part de population russe. Boris Nemtsov souhaitait prévenir toute la Russie de ce danger, telle était la raison d’être de ce rapport.

Quelle que soit la réaction russe, l’Ukraine d’aujourd’hui est déterminée à bâtir un État libéré de ses anciennes corruptions, respectueux des droits de l’homme et désireux de refonder une nation basée sur des valeurs occidentales de transparence et d’indépendance.

C’est la vertu de l’Europe et de l’Occident d’avoir toujours su promouvoir leurs valeurs toutes de démocratie et de liberté. En être dignes en 2015, c’est aider l’Ukraine à ne pas sombrer dans cette guerre, l’aider à ne pas s’asphyxier dans la grave crise économique qu’elle engendre, l’aider à empêcher cette guerre de progresser à l’intérieur de son territoire.

Il faut, comme l’Occident y est parvenu après une longue et inutile guerre froide, que nous parvenions à convaincre le Kremlin que le respect de la souveraineté des États a plus d’avantages que sa politique actuelle. Il faut que nous parvenions à restaurer le dialogue et la confiance entre la Russie et l’Ukraine.

Restaurer la confiance sera restaurer la paix. Arrêtons cette guerre ensemble !

 

[i] Le repeuplement du Donbass a fait suite au Holodomor – la famine artificielle de l’hiver 1932-33 orchestrée par Staline pendant laquelle jusqu’à 10 millions de personnes ont perdu leur vie.

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1 réponse

  1. aller ! dit :

    J’aime ta réflexion et encore merci pour ce bel article !

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