Crimée: le prix élevé de la collaboration française

A l’époque soviétique, c’étaient le Holodomor, la Terreur et le Goulag,  que de nombreux visiteurs occidentaux en URSS ont choisi de ne pas voir. Aujourd’hui, ce sont les Tatars de Crimée et tous ceux qui souffrent de la persécution dans la Crimée occupée par la Russie, que des hommes politiques français ont trahis.

C’est comme si au cours de la Seconde Guerre mondiale une mission internationale avait visité un camp de concentration nazi et demandé aux prisonniers s’ils étaient contents de leur sort.  C’est la façon dont le chef Tatar de Crimée Refat Tchoubarov a décrit la visite de 10 hommes politiques français en Crimée, occupée par la Russie.

Les termes de «choc» et «regret» employés par le Ministre français des Affaires étrangères sont largement insuffisants pour compenser la trahison des Tatars de Crimée et de ceux qui ont souffert directement de l’occupation russe  en Crimée .  C’est également une atteinte à la réputation de la France lorsque des hommes politiques français se comportent comme des chiens obéissants tenus en laisse, en faisant des tours sur demande.  Le bénéfice de la propagande en faveur de la Russie est énorme, et vaut bien, selon les allégations de nombreux observateurs, n’importe quel prix pour service rendu, payé à des hommes politiques français.

On peut comprendre la position officielle de la France.  Les hommes sont libres de voyager où ils le souhaitent.  Le chef de la délégation, Thierry Mariani, a utilisé cette liberté pour visiter Saddam Hussein en 2002, tandis qu’un autre membre de la délégation du parti de Nicolas Sarkozy, Jacques Myard, a rendu visite à Bachar Al-Assad et aux membres du gouvernement syrien au début de l’année.  Il paraît vraisemblable qu’ils ont aussi donné l’assurance à ces dirigeants qu’ils apporteraient leur message à la nation française, tout comme ils l’ont fait pour la Crimée.

Les homme politiques français ont le droit de voyager librement, néanmoins ils sont entrés en Crimée illégalement car ils n’ont pas obtenu la permission de l’Ukraine.  Ils ont également montré leur soutien au président russe Vladimir Poutine et efficacement répété mot pour mot sa version sur l’annexion, en dépit du fait que ce fut une violation flagrante du droit international.

Bien que certains hommes politiques, y compris Mariani, sont bien connus pour leur position infailliblement pro-Kremlin, l’histoire racontée à Kommersant expliquait qu’ils étaient en visite en Crimée afin de se rendre compte de la situation sur place et voir comment vivaient les Criméens ordinaires.

Ceux qu’ils n’ont pas vus

Il y a des gens que les députés français n’ont pas pu entendre s’exprimer, même s’ils l’avaient voulu.  Il s’agit :

des personnes assassinées, comme le Tatar de Crimée Reshat Ametov ou des militants civiques ainsi qu’un certain nombre de jeunes hommes, Tatars de Crimée, qui ont été enlevés et/ou ont disparu sans laisser de trace;

des personnes bannies de leur patrie, comme les dirigeants des Tatars de Crimée Moustafa Djemilev; Refat Tchoubarov et  le militant pour les droits  Sinaver Kadyrov; tout comme  les quelques 20 000 habitants qui ont quitté la Crimée, beaucoup ayant été victimes de violences physiques et de harcèlement;

des personnes emprisonnées suite à des accusations officielles absurdes, comme vice-ministre de la Mejlis des Tatar de Crimée Akhmet Chiygoz, le militant du Maïdan Oleksandr Kostenko; le réalisateur Oleg Sentsov et l’activiste civique Aleksandr Koltchenko ainsi que beaucoup d’autres.

Ils auraient pu parler à des membres de la Mejlis [l’Assemblée représentative des Tatars de Crimée] ou à des militants civiques ukrainiens, mais ils ne l’ont pas fait. A la place, ils ont rencontré uniquement des représentants du gouvernement d’occupation de la Crimée et des individus choisis par ce dernier.

Tous les reportages – et ils étaient nombreux – des médias russes pro-Kremlin étaient dithyrambiques.  Le voyage a été salué comme une percée diplomatique annonçant un changement d’attitude de l’Ouest et la levée des sanctions.  Plus important encore, les hommes politiques occidentaux ont présenté la version de Moscou des événements et de l’histoire relatifs à la Crimée.

Thierry Mariani: “La Crimée est russe. Du point de vue historique, culturel et démographique. Et ça, malgré le fait que depuis 20 ans la péninsule faisait partie de l’Ukraine. La Crimée est toujours restée russe. Et je pense que si la Crimée n’était pas revenue à la Russie, la situation y serait aujourd’hui la même que dans le Donbass. ”

“Ce que nous voulons dire c’est que la majorité des gens que nous avons rencontrés, nos divers contacts, tous semblaient heureux d’être de retour en Russie.”, a dit Mariani  selon Russia Today.

Lors d’une conférence de presse à Yalta, Mariani a déclaré que «lors de notre visite au Parlement, nous avons demandé comment ça se passait avec les représentants des Tatars de Crimée. Le vice-président M. Ilyasov était présent à cette réunion. Il a confirmé que les intérêts des Tatars étaient respectés, que la culture des minorités nationales était intégrée dans la vie du pays. Étant donné qu’il y a trois langues officielles, la diversité des langues est législativement représentée. Voilà un exemple concret d’information qui n’a pas été diffusé en Europe “(voir ici plus de détails sur la situation des langues ).

Claude Goasquen: “Il est temps d’accepter que la Crimée est une région en paix, même si les États-Unis aimeraient qu’une guerre éclate ici”.

Goasquen a également dit à l’agence de presse TASS que l’ancien président français Nicolas Sarkozy “approuve pleinement le voyage des membres de son parti” et qu’il était “tout à fait réaliste”  de voir Sarkozy en personne, venir en visite ici.

Jérôme Lambert, présenté par TASS comme le vice-président de la Commission parlementaire française des Affaires étrangères, a consacré son temps en Crimée à exprimer publiquement son opposition aux sanctions contre la Russie et la Crimée.

Seuls quelques médias indépendants russes ont vu peu de raisons de s’exalter. Iouri Safronov, journaliste de Novaïa Gazeta, a mis l’accent sur certains liens curieux, sur des déclarations et sur des amis fréquentés par les membres de cette délégation.  Mariani semble être un proche collaborateur et a des intérêts commerciaux communs avec Konstantin Malofeev, décrit par le Financial Times comme «un personnage clé reliant les forces pro-russes sur le terrain en Ukraine et l’establishment politique à Moscou”.

Quels que soient les avis émis par Nicolas Dhuicq, ils doivent résonner comme une  musique aux oreilles du chef du Kremlin. En 2012, rapporte Safronov, il a déclaré au parlement qu’il y a un lien entre le terrorisme et les familles homosexuelles.  En 2015, il a démontré ses prouesses en tant que psychiatre en affirmant que l’Ukraine est profondément “traumatisée et divisée” et,  que par conséquent, on ne devrait pas soutenir son “unité de façade”.

Jacques Myard est tout aussi homophobe et il soutient également le rétablissement de la peine de mort.  Il a appelé l’Europe à reconnaître la Crimée russe, mais aussi à mettre en garde la Russie de ne pas se comporter ainsi avec les autres parties de l’Ukraine.

Refat Tchoubarov est convaincu que les hommes politiques français font ce qu’on attend d’eux en paiement pour les prêts reçus des banques contrôlées par Poutine.  Il a remarqué une analogie révélatrice : “Après la première annexion de la Crimée, quand Catherine II était en visite sur le territoire nouvellement obtenu, Potemkine a mis en place de faux villages.  Aujourd’hui, après presque deux siècles et demi, les occupants russes utilisent le même stratagème que Potemkine “.

Il aurait pu également ajouter qu’un grand nombre d’occidentaux de l’époque soviétique, comme Romain Rolland et George Bernard Shaw, étaient plus que prêts à fermer les yeux sur les preuves du Holodomor [la famine provoquée] en Ukraine, de la Terreur de Staline et de plusieurs autres crimes.  Tous ces «idiots utiles» avaient leurs motifs, comme les hommes politiques français d’aujourd’hui.   L’usage que Moscou fait d’eux reste inchangé.

Ce texte fut publié en anglais par le Groupe des Droits de l’Homme de Kharkiv.
Traduction par Krystina Biletska
Relecture Anna O.

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